Cela fait dix ans, jour pour jour, ce 19 décembre 2025, que Fernande Grudet — plus connue sous le nom de Madame Claude — est morte à Nice. Trente-deux ans après ses premières condamnations et dix ans après sa disparition, son nom reste un symbole de la vie nocturne et des coulisses du pouvoir parisien. La légende qu’elle avait elle‑même façonnée contraste avec la fin discrète et parfois marquée d’anonymat de sa vie.
Une ascension construite et réécrite
Née le 6 juillet 1923 à Angers dans un milieu modeste, Fernande Joséphine Grudet n’a cessé de remodeler son histoire. Elle s’est présentée à plusieurs reprises comme issue d’un milieu aisé, fille d’un industriel, ou comme ancienne résistante déportée. Plusieurs éléments de sa biographie relèvent aujourd’hui davantage de l’autobiofiction que d’un récit vérifiable.
Fille‑mère pendant la guerre et sans diplôme ni ressources, elle monte à Paris après la Libération. D’abord prostituée, elle comprend vite que le pouvoir n’est pas seulement dans la chambre, mais dans l’organisation. À la fin des années 1950, elle crée ce qui deviendra un réseau de prostitution de luxe, opérationnel depuis un appartement de la rue de Marignan puis du 32 rue de Boulainvilliers.
Un « empire » clandestin
De son téléphone — déjà signe distinctif à l’époque — Madame Claude dirige une entreprise clandestine. Ses « filles » sont soigneusement sélectionnées, formées aux bonnes manières, habillées par des couturiers et, parfois, orientées vers la chirurgie esthétique. Elles sont destinées à une clientèle triée sur le volet : ministres, diplomates, grands patrons et artistes internationaux.
Selon les estimations abondamment relayées par la presse, son « cheptel » aurait atteint 500 prostituées. Elle prélevait environ 30 % sur chaque passe, et entretenait une aura sulfureuse faite de rumeurs. Cette réputation, volontairement cultivée, contribue à ériger son nom en figure quasi mythologique du Paris des années 1960‑1970.
Protections, chute et exils
Protégée un temps par des éléments de la police et des services de renseignement — à qui elle aurait fourni des informations — Madame Claude finit par être rattrapée par la justice et l’administration fiscale. L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée marque un tournant : ses carnets intéressent le fisc, des procédures sont lancées et elle est condamnée pour fraude fiscale.
Fuyant la France, elle part aux États‑Unis, multiplie les mariages blancs, les faillites et les pseudonymes. L’appel de Paris reste cependant fort. De retour en France, elle tente de recréer un réseau dans le Marais. Au début des années 1990, elle est de nouveau condamnée, cette fois pour proxénétisme aggravé.
La métamorphose en « coach » sentimental
La fin de sa carrière criminelle coïncide avec une reconversion surprenante. Ruinée et vieillissante, Madame Claude se transforme en conseillère conjugale et en coach en séduction. En 1994, elle commercialise une cassette vidéo où elle dispense ses recettes pour « attraper un bon mari ». Son ton y est cynique, direct et parfois glaçant.
Elle y donne des conseils simples et stratégiques : « Ne couchez jamais le premier soir », « Faites‑le parler de lui », ou encore « contentez‑vous de dire ‘Oh’ et ‘Ah’ ». Pour elle, la séduction demeure un rapport de force, dénué d’illusions romantiques. Sa présence sur les plateaux de télévision accentue ce nouveau personnage public.
Invitée chez Patrick Sébastien, elle lance une formule restée célèbre : « J’ai dressé des jeunes filles, mais jamais des chats ». Derrière la provocation, on perçoit une logique constante : pour Fernande Grudet, les relations étaient d’abord une stratégie.
Vendre son savoir‑faire sentimental apparaît alors comme la continuité de sa trajectoire. Après avoir monnayé des corps, elle monnaye désormais une expérience et une méthode. Cette reconversion, moquée par certains, confirme la capacité du personnage à se réinventer.
Dernières années et héritage
À partir des années 2000, Fernande Grudet se retire progressivement de la scène publique. Recluse sur la Côte d’Azur et éloignée de sa fille, elle subit un AVC en 2013. Elle meurt le 19 décembre 2015, emportant avec elle de nombreux secrets d’alcôve et, vraisemblablement, des liens avec des sphères de pouvoir.
Dix ans plus tard, son nom reste une antonomase dans l’imaginaire français. Madame Claude n’a peut‑être jamais cessé d’être ce qu’elle prétendait : une marque. Même dans sa dernière vie, celle du dating et des conseils sentimentaux, elle a continué à vendre une certaine idée du pouvoir — dangereuse pour certains, fascinante pour d’autres.


