Mazarine Pingeot fête ses 51 ans le 18 décembre 2025. Plus de trente ans après que son existence a été révélée au public, la fille de François Mitterrand explore à nouveau les contours d’une enfance tenue secrète. Dans 11 quai Branly, publié chez Flammarion, elle revient sur l’appartement de fonction — près de 300 m² — où elle a vécu, cachée, avec sa mère Anne Pingeot et le président de la République. Situé face au pont de l’Alma, ce logement d’État est, pour elle, le symbole d’une enfance sous scellés.
Un appartement d’État, un refuge paradoxal
Le 11, quai Branly, dans le VIIe arrondissement de Paris, est un bâtiment austère, surveillé jour et nuit par la gendarmerie. Propriété de l’État, ce palais du XIXe siècle abrite traditionnellement des logements de fonction. Derrière son portail métallique et le drapeau tricolore flottant au fronton, rien ne laissait soupçonner qu’il fut, dans les années 1980, le refuge discret de la seconde famille de François Mitterrand.
C’est pourtant là que Mazarine a passé ses années d’enfance, de ses 9 à ses 16 ans, soustraite aux regards et aux médias. L’appartement, décoré par le Mobilier national, était vaste mais, selon elle, « trop grand, trop froid », voire « glacial ». Ce contraste entre l’apparat officiel et la vie quotidienne a façonné une enfance cloîtrée, où l’ordre et la surveillance dominaient.
Un quotidien ordinaire au cœur d’un secret d’État
Malgré le secret absolu, la vie familiale s’organisait autour de gestes simples. Dans son livre, Mazarine reconstitue des scènes banales: l’entrée où elle jouait à l’élastique en sommant son père de se prêter au jeu, la salle à manger où la famille regardait le journal télévisé ou les matchs de football. François Mitterrand, passionné de sport, exultait devant les exploits de joueurs comme Platini ou Giresse et expliquait parfois les règles à sa fille.
La cuisine, qu’elle appelle « le lieu de l’intime », tenait une place centrale. On s’y retrouvait en pyjama, au saut du lit, avec les odeurs de pain grillé et les voix de France Inter en fond sonore. Ces instants suspendus — petits rituels du quotidien — viennent heurter la réalité plus sombre d’une enfance enfermée et surveillée.
Solitude et retrait: les traces d’une jeunesse marquée
Grandir dans cet espace hors norme signifiait être entourée d’adultes et de règles implicites. Mazarine évoque la solitude diffuse, la peur et l’angoisse du danger extérieur. Sa chambre était un poste d’observation d’où elle examinait les passants avec appréhension. La buanderie, avec le ronronnement des machines, devenait un refuge apaisant. Au fil des pages, elle décrit un sentiment d’effacement: « Je n’ai pas habité quai Branly et pourtant j’y ai vécu », écrit-elle, résumant l’étrangeté de cette existence.
À 16 ans, elle quitte l’appartement qu’elle juge trop lourd à porter. Elle se réfugie alors dans le deux-pièces de sa mère, rue Jacob, dans le VIe arrondissement, qu’elle considère comme son véritable cocon. L’Alma devient un lieu à éviter: passer devant les fenêtres provoquait une douleur qui « rayonnait », écrit-elle.
Parallèlement, le dispositif de sécurité et la discrétion entouraient la résidence. L’appartement jouxtait la cour d’honneur du palais de l’Alma. Un proche du chef de l’État, François de Grossouvre, logeait à l’étage supérieur, veillant discrètement à la sécurité des lieux. Tout était organisé pour que rien ne filtre.
Revenir pour nommer le silence
Pourquoi ce retour sur les lieux, aujourd’hui ? « Pour voir si j’y suis », confie-t-elle dans son livre. La démarche n’a pas pour objectif de régler des comptes ou de nourrir un mythe. En revisitant l’appartement, Mazarine tente de reconstituer une mémoire fragmentée et de donner corps à une enfance dont les témoins ont longtemps été absents.
Elle filme les lieux pour sa mère, Anne Pingeot, aujourd’hui octogénaire, afin que chacune puisse retrouver ses repères. Ce logement d’État, à la fois refuge et prison, résume le paradoxe de sa vie: une existence protégée, mais au prix d’un effacement. Entrer enfin librement dans ces pièces, sans escorte ni secret, revient à transformer le silence en récit.
Le livre 11 quai Branly s’inscrit ainsi comme un témoignage intime. Il mêle souvenirs domestiques et lourdeur d’un secret d’État, et revient sur une page sensible de la vie publique française. Sans chercher à créer du scandale, Mazarine Pingeot met des mots sur une jeunesse qui n’a jamais vraiment appartenu au public.


