Ce 5 décembre 2025, Jacques Dessange aurait eu 100 ans. Créateur du « coiffé‑décoiffé » et fondateur d’un empire mondial de la coiffure, rival historique de Jean‑Louis David, il demeure une figure majeure du chic français. Mais derrière l’image d’un nom devenu enseigne internationale se cache une rupture familiale profonde, opposant le patriarche à son fils cadet, Benjamin, et qui a alimenté un feuilleton public et judiciaire longtemps après la disparition du fondateur.
La rupture publique : la publication de Le Complot
Le conflit a basculé dans la lumière au début des années 2010. En 2011, à 86 ans et retiré des affaires, Jacques Dessange publie sur Internet un court ouvrage intitulé Le Complot. Ce texte de 48 pages vise directement son fils Benjamin, alors président du directoire de Dessange International, qu’il accuse d’avoir organisé son éviction du groupe qu’il avait fondé à la fin des années 1940.
Dans Le Complot, le coiffeur star raconte avoir été « viré comme un malpropre » en 2008, au moment où il cède 65 % de ses parts au fonds OFI Private Equity. Il affirme avoir signé un contrat sans en avoir « pas tout lu », contrat qui, selon lui, l’aurait dépossédé de ses fonctions. Jacques Dessange relate ensuite comment Benjamin, soutenu par le nouveau management, l’aurait progressivement exclu des instances dirigeantes au point de lui interdire l’accès à son propre bureau.
Le ton du pamphlet est cinglant. Le père accuse son fils de « mensonges », de « perfidie » et d’un « goût immodéré pour l’argent », évoquant un train de vie fastueux marqué par voitures de luxe. Benjamin a qualifié ce texte de diffamatoire et a engagé une longue série de procédures : assignations en référé, demandes de retrait de l’ouvrage et poursuites croisées. Pendant les audiences, les deux hommes ne se sont pas adressé la parole.
Une relation brisée de longue date
La querelle de 2011 n’était pas l’origine de la rupture. Jacques Dessange lui‑même reconnaissait que leur relation avait toujours été « exécrable » : « On n’a jamais été proches », confiait‑il. Il évoquait avoir dit sans détour ce qu’il pensait des capacités managériales de Benjamin, des remarques qui, selon lui, n’auraient jamais été digérées par le fils.
À l’inverse, l’autre fils du fondateur, Cyril, est resté proche du père et l’accompagnait encore dans ses activités artistiques en Sologne. Le 7 janvier 2020, Jacques Dessange s’éteint à 94 ans dans sa Sologne natale. La France salue alors un pionnier de la coiffure, celui qui a coiffé Brigitte Bardot, Elizabeth Taylor ou Ava Gardner, et qui a bâti un réseau de plus de 1 000 salons dans 40 pays, popularisant le brushing à la française.
Malgré la disparition du patriarche, l’apaisement n’est jamais venu. Au moment de sa mort, les relations entre Jacques et Benjamin restaient rompues. Selon les éléments publics, Benjamin avait quitté l’entreprise en 2018.
La fin d’un feuilleton judiciaire
La saga familiale a connu un nouvel et tragique épisode quatre ans plus tard. Le 5 novembre 2024, Benjamin Dessange meurt à 57 ans. Son décès intervient alors qu’il devait comparaître devant le tribunal correctionnel, poursuivi pour harcèlement sexuel aggravé à la suite de plaintes déposées en 2014 et 2015 par une ancienne employée du groupe.
Mise en examen en 2022, la défense de Benjamin contestait les accusations et dénonçait un « acharnement ». Il avait même affirmé que son père avait « créé une vendetta » contre lui, hypothèse qui, selon l’instruction, n’a pas été retenue. Le groupe Dessange International a précisé que Benjamin ne faisait plus partie de l’entreprise « ni comme salarié ni comme actionnaire » depuis plusieurs années.
La disparition de Benjamin interrompt brutalement une procédure judiciaire encore en cours. Le procès pénal prévu n’aura donc pas lieu et les accusations n’ont pas trouvé de dénouement public. Pour la famille et pour le public, le dossier reste partiellement refermé par la mort plutôt que par une décision de justice.
Un héritage partagé entre prestige et drame
Cent ans après la naissance de Jacques Dessange, l’image laissée par le clan est double. D’un côté, la réussite fulgurante d’un père visionnaire qui a exporté le style et le savoir‑faire français dans le monde entier. De l’autre, la chute violente d’un héritier, dont la trajectoire personnelle et judiciaire a assombri l’histoire familiale.
Sans jugement public sur le fond des accusations visant Benjamin, la saga Dessange demeure un récit où le prestige professionnel se mêle à une tragédie intime. Les salons et la marque portent le nom et l’œuvre du fondateur, mais la portée humaine et familiale de cette histoire rappelle que le succès économique n’empêche ni les dissensions, ni les blessures irréparables.


