Le piège dans le salon de Kensington
Le 5 novembre 1995, dans le calme de son salon privé au palais de Kensington, la princesse Diana accepta la visite de trois hommes venus tourner un entretien pour Panorama, l’émission d’enquête de la BBC. Elle avait renvoyé son personnel et demandé la plus grande discrétion : pas de maquilleur, pas de styliste, personne d’autre présent.
Quelques semaines plus tard, face au journaliste Martin Bashir, Diana prononça une phrase devenue historique : « Nous étions trois dans ce mariage. » Diffusée le 20 novembre 1995 devant près de 200 millions de téléspectateurs, l’intervention évoquait la relation entre le prince Charles et Camilla Parker-Bowles et abordait, entre autres, la boulimie et la liaison avec James Hewitt.
Sur le moment, l’entretien parut être une prise de parole décisive de la princesse. Deux décennies et demie plus tard, il s’est transformé en symbole d’une manipulation massive révélée par une enquête indépendante conduite en 2021 par le juge Lord Dyson. Cette enquête a conclu que Martin Bashir avait obtenu l’accès à Diana en usant de faux documents et que la direction de la BBC avait manqué à ses devoirs et tenté ensuite d’étouffer l’affaire.
La machination mise au jour
Pendant près de vingt ans, le journaliste d’investigation Andy Webb a reconstitué pas à pas cette supercherie. Il a d’abord soulevé des soupçons, puis provoqué une médiatisation qui a conduit à l’enquête Dyson. Webb affirme que Bashir a construit son piège en plusieurs étapes, en commençant par convaincre Charles Spencer, le frère de Diana, que sa sœur était entourée d’agents achetés par la presse.
Pour obtenir la confiance de Spencer, Bashir aurait présenté de faux relevés bancaires montrant prétendument des transferts vers le personnel de Diana et certains conseillers du prince Charles. Selon des proches de la princesse, cette manipulation a renforcé l’anxiété de Diana. Patrick Jephson, ancien secrétaire particulier, témoigne : « Elle était dans un état d’anxiété justifiée. On l’avait déjà trahie. » Rosa Monckton, amie intime, ajoute : « Elle était fragile, et cela la rendait vulnérable. »
Selon Webb, Bashir fit ensuite croire à Diana qu’une des nounous des princes William et Harry, Tiggy Legge-Bourke, aurait eu une liaison avec Charles et subi un avortement financé par le prince. Un document falsifié aurait servi à étayer cette accusation. Cet argument, que Webb juge « profondément blessant » pour la princesse, aurait été l’élément déclencheur qui l’a poussée à accepter un entretien secret visant à « rétablir la vérité ».
Une interview soigneusement préparée
Le récit de Webb précise que Diana et Bashir passèrent près d’une heure et demie dans la cuisine à revoir les questions et à peaufiner l’interview. L’équipe réduite de Panorama installa son matériel à huis clos, sous prétexte d’un système de sonorisation. Le 20 novembre 1995, la princesse parla avec calme et détermination d’éléments intimes de sa vie conjugale et familiale, sans que le public sache que l’accès lui avait été obtenu par tromperie.
La révélation de la falsification eut des conséquences immédiates. Un mois après la diffusion, la reine Elizabeth II demanda à Charles et Diana d’entamer une procédure de divorce. Patrick Jephson démissionna en janvier 1996, ignorant alors que de faux documents avaient contribué à briser la confiance qui liait la princesse à son entourage.
Enquête, responsabilité et conséquences
La BBC interrogea Bashir, qui reconnut avoir fabriqué des documents mais nia en avoir montré à des tiers. Une enquête interne de la chaîne le blanchit, un processus que le rapport Dyson qualifiera plus tard de « lamentablement inefficace ». Lord Dyson conclut que la direction de la BBC n’avait pas averti Diana qu’elle avait affaire à un escroc et que, faute d’une alerte, son destin aurait pu être différent.
Andy Webb poursuit son travail : en 2024, il a obtenu la publication de milliers de courriels internes de la BBC, dont certains restent expurgés. Son livre, Dianarama : Tromperie, Piège, Dissimulation – La Trahison de la Princesse Diana, est annoncé pour le 25 novembre 2024 et promet de livrer de nouvelles pièces du dossier.
Pour le prince William, la trahison est personnelle et lourde de conséquences. Il a déclaré : « Si la BBC avait mené une enquête sérieuse dès 1995, ma mère aurait su qu’elle avait été trompée. Elle a été trahie par un journaliste et par ceux qui auraient dû la protéger. »
Parmi les proches de Diana, certains estiment que la manipulation de Bashir a renforcé la méfiance qui entourait la princesse en 1997. En refusant de se fier aux équipes de sécurité officielles du palais, elle s’en remit à d’autres protections, jugées insuffisantes le 31 août 1997, lorsque le véhicule dans lequel elle se trouvait fut impliqué dans un accident mortel à Paris. Diana avait 36 ans.
L’affaire continue d’alimenter débats et enquêtes. Les documents publiés ces dernières années, ainsi que les révélations annoncées par Webb, relancent la question de la responsabilité des médias et des institutions dans la vie des personnalités exposées au public.


