Karine Dusfour et Mélissa Theuriau se sont posé une question simple et profonde : « Le temps des femmes est‑il venu ? »
Dans le documentaire Le temps des femmes, proposé par France Télévisions, elles cherchent à mesurer l’évolution de la condition féminine sur six décennies. Le film mêle images d’archives et témoignages contemporains pour tenter de répondre : la vie quotidienne des femmes a‑t‑elle vraiment changé depuis les soixante dernières années ?
Quatorze voix pour raconter une histoire collective
Les réalisatrices ont décidé de donner la parole à « quatorze femmes, anonymes ou célèbres, de tous les âges et classes sociales ». Parmi les intervenantes les plus connues, on retrouve la créatrice de contenus Léna Mahfouf, alias Léna Situations, la rappeuse Le Juiice, l’actrice Virginie Efira et l’humoriste Florence Foresti.
Ce choix de participants veut montrer la diversité des trajectoires : certaines ont accédé au sommet de leur art, d’autres évoquent des combats quotidiens moins médiatisés. Les archives viennent rappeler les cadres sociaux et culturels d’autrefois, tandis que les témoignages mettent en lumière les avancées et les résistances persistantes.
Florence Foresti : le récit d’un parcours semé d’obstacles
Florence Foresti, aujourd’hui reconnue comme une figure majeure de l’humour en France, se confie longuement dans le documentaire. La comique de 52 ans revient sur ses débuts difficiles et sur la violence du milieu qu’elle a dû traverser pour exister.
« Quand tu es jeune fille et que tu fais des rêves éveillés, je me voyais cheffe d’entreprise en costume beige et je voulais une 205 GTI rouge. Je suis d’une époque où les femmes avaient envie de bouffer le monde », commence-t‑elle, rappelant à la fois ses rêves d’alors et l’ambition qui l’animait.
Avant le succès, le chemin a été sinueux. Foresti raconte les premières années, « dans des petits cafés », où la scène restait largement masculine : « Les garçons se retrouvaient entre eux, ils rigolaient entre eux et moi j’étais toute seule dans la loge. Moi quand je disais un truc très drôle, ils disaient : ‘Umh, ouais’. J’ai souffert, une humiliation, un rejet. »
Elle confie que cette expérience lui a donné une rage de vaincre : « C’était épouvantable. Ça m’a nourri au point de vouloir les dépasser. J’ai poussé les montagnes pour leur montrer que j’étais drôle comme eux bordel de merde. » Ces mots, crus et sincères, traduisent la détermination qui a permis à Foresti de remplir de grandes salles et de travailler au cinéma, avec une vingtaine de films à son actif, parmi lesquels Dikkenek, Hollywoo, Barbecue ou Lucky, cités dans le documentaire.
Le fil conducteur : liberté, place et reconnaissance
Le film interroge plus largement la notion de place. Les intervenantes se prononcent sur ce que signifie exister dans l’espace public, dans le monde professionnel et dans l’intimité. Certaines décrivent des progrès concrets, d’autres mettent en garde contre des formes plus subtiles d’inégalités qui persistent.
La juxtaposition des archives et des récits personnels crée un contraste utile : les images montrent des normes d’où l’on voit combien les cadres ont changé, tandis que les témoignages rappellent que des obstacles culturels et institutionnels demeurent. Le documentaire n’offre pas de tableau manichéen mais choisit la nuance, laissant la parole aux femmes pour qu’elles relatent leurs réalités.
Entre espoirs et réalités
Le montage met en lumière des trajectoires différentes mais convergentes : volonté d’émancipation, combativité face aux rejets, désir de reconnaissance. Pour certaines personnalités, la notoriété a permis d’amplifier leur voix et de franchir des barrières ; pour d’autres, la lutte reste quotidienne, moins visible et tout aussi exigeante.
En filigrane, Le temps des femmes pose une question ouverte : les conquêtes obtenues suffisent‑elles à transformer en profondeur les rapports de genre ? Sans prétendre fermer le débat, le documentaire apporte des éléments de réponse grâce à une palette de récits personnels qui témoignent d’avancées et de résistances.
Florence Foresti incarne à la fois la douleur des débuts et la victoire de la persévérance. Son témoignage, franc et émotionnel, illustre ce que plusieurs intervenantes disent autrement : le chemin vers l’égalité reste long, mais il est jalonné de victoires individuelles qui résonnent collectivement.
Le projet des réalisatrices — donner un espace d’expression à quatorze femmes aux parcours variés — offre au public un panorama intimiste et pluriel de la condition féminine. À travers ces voix, le film invite à mesurer le chemin parcouru tout en gardant l’œil sur ce qui reste à faire.


