Le 16 octobre 1984, le petit Grégory Villemin, âgé de quatre ans, disparaissait à Lépanges-sur-Vologne alors qu’il jouait devant la maison familiale. À la sortie de l’école, il s’était approché d’un tas de graviers d’excavation dans le jardin. Sa mère, Christine Villemin, était partie un court instant faire du repassage et n’avait pas retrouvé l’enfant une demi‑heure plus tard. Alertée, la gendarmerie a été prévenue. Le soir même, vers 21 h, le corps de l’enfant était repêché dans la Vologne : les pieds, les poings et la tête liés par des cordelettes, le visage recouvert d’un bonnet de laine. Ces images ont bouleversé l’opinion et fait de l’affaire l’une des plus médiatisées de l’histoire judiciaire française.
La piste familiale et le « corbeau »
Dès les premiers instants, la piste d’un règlement de compte en famille a été privilégiée. Le jour du drame, un mystérieux « corbeau » avait téléphoné à Michel Villemin, oncle de Grégory, pour annoncer le crime. Selon le message rapporté, l’appelant déclarait : « Je te téléphone car cela ne répond pas à côté. Je me suis vengé du chef et j’ai kidnappé son fils. Je l’ai étranglé et je l’ai jeté à la Vologne. Sa mère est en train de le rechercher mais elle ne le trouvera pas. Ma vengeance est faite ».
Le 17 octobre 1984, une lettre anonyme adressée à Jean‑Marie Villemin revendiquait également : « J’espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance. Pauvre con ». La famille Villemin subissait, selon le récit de l’enquête, des appels et lettres malveillantes depuis plusieurs années et le corbeau paraissait bien informé de leur vie privée. Ce harcèlement a orienté les soupçons vers l’entourage proche, certains évoquant une jalousie liée à la position de contremaître de Jean‑Marie.
Accusations, détentions et erreurs judiciaires
Les parents, Christine et Jean‑Marie Villemin, ont rapidement été placés au centre des investigations. Christine a été inculpée en juillet 1985 et incarcérée, mais l’enquête et la procédure ont connu de nombreuses controverses. Le Parisien a évoqué des dérives dans le traitement du dossier par la police judiciaire de Nancy, tandis que le juge d’instruction Jean‑Michel Lambert est critiqué pour des décisions fondées sur des éléments jugés fragiles. En 1993, Christine a obtenu un non‑lieu pour absence de charges, après avoir purgé une peine en détention alors qu’elle était enceinte.
La situation a par ailleurs dégénéré en drame familial : le 29 mars 1985, Jean‑Marie Villemin a abattu son cousin, Bernard Laroche. Quelques mois plus tôt, le 5 novembre 1984, Bernard Laroche avait été mis en examen pour l’enlèvement et l’assassinat de Grégory, à la suite du témoignage de sa jeune belle‑sœur, Murielle Bolle. Celle‑ci affirmait que Bernard l’avait récupérée au collège, puis était allé prendre Grégory chez lui, revenant ensuite seul. Murielle s’est ensuite rétractée, déclarant l’innocence de Bernard Laroche. Accusé, puis mis en cause puis disculpé par rétractation, Bernard Laroche deviendra la victime d’un meurtre commis par Jean‑Marie, qui fut condamné à cinq ans de prison dont un avec sursis, et sorti deux semaines après le verdict au titre de la détention préventive déjà effectuée.
La vie après le drame et les rebondissements récents
Après la mort de Grégory, Christine et Jean‑Marie ont eu trois autres enfants : Julien en 1985, Émelyne en 1990 et Simon en 1998. Le couple a quitté les Vosges pour la région parisienne ; leurs enfants ont poursuivi des études et se tiennent aujourd’hui à l’écart des médias. En février 2004, ils ont fait exhumer le corps de Grégory au cimetière de Lépanges et l’ont fait incinérer à Épinal lors d’une cérémonie strictement privée. Les parents ont conservé la moitié des cendres.
Sur le plan judiciaire, les investigations ont connu des avancées et des impasses : des tests ADN n’ont pas apporté de réponse décisive. En juin 2025, une nouvelle piste a émergé : la grand‑tante de l’enfant, Jacqueline Jacob, âgée de 81 ans, a été désignée comme suspecte et convoquée le 24 octobre 2025 pour un éventuel placement en mise en examen pour « association de malfaiteurs criminelle ». Une expertise graphologique réalisée cet été l’aurait désignée comme l’auteure présumée d’une ou plusieurs lettres anonymes envoyées par le corbeau, selon les éléments communiqués.
La famille a réagi avec émotion. Me François Saint‑Pierre, avocat des parents, a déclaré sur CNews : « Lorsqu’ils ont appris la nouvelle, ils ont été gagnés par une très forte émotion » et ajouté : « Non pas qu’ils pensent que l’affaire va être résolue d’un jour à l’autre, mais parce que chaque avancée peut donner l’espoir d’une résolution ». Il a salué le couple comme « des personnes remarquables » et rappelé que Christine avait été totalement innocentée par le juge Maurice Simon.
Parallèlement, Christine Villemin a déposé en septembre 2025 une plainte pour diffamation contre la journaliste retraitée Marie‑France Bezzina. Selon la plainte, Mme Bezzina aurait publié sur Facebook un message présentant Christine comme étant le « corbeau » et l’assassin de son fils, écrivant notamment que le corbeau était « CV » (les initiales de la mère) et ajoutant : « Il n’y a pas besoin d’aveu : elle ne fait que mentir ».
Après quarante‑et‑un ans d’enquête, d’accusations et de rebondissements, les époux Villemin poursuivent leur quête de vérité. Les récentes convocations et expertises relancent l’espoir d’éclaircissements, mais la complexité du dossier et les erreurs passées restent des obstacles majeurs à une conclusion définitive.
