Le philosophe médiatique Raphaël Enthoven se retrouve au cœur d’un procès très médiatisé à Paris, jugé pour « injures publiques ». Ce dossier, qui mêle politique, réseaux sociaux et questions de liberté d’expression, trouve son origine dans un tweet publié au lendemain d’un incident pendant la manifestation du 1er mai 2024 à Saint-Étienne.
Contexte et le tweet qui a tout déclenché
Le 1er mai 2024, des images largement partagées sur les réseaux sociaux montrent Raphaël Glucksmann, figure de la gauche européenne et fondateur du mouvement Place publique, pris à partie lors du défilé de la fête du travail à Saint-Étienne. Selon les images et les témoignages, il est exfiltré sous escorte après avoir été la cible de jets de peinture et d’invectives. Il en ressort choqué mais indemne.
Quelques heures plus tard, Raphaël Enthoven réagit publiquement sur X (anciennement Twitter) avec un message virulent ciblant La France Insoumise. Le tweet incriminé est reproduit dans le dossier : « La France insoumise est un mouvement détestable, violent, complotiste, passionnément antisémite… Et ils sont tellement cons qu’il n’est même pas nécessaire de les corrompre pour qu’ils reprennent à la lettre le narratif du Hamas ou de Poutine. On n’en peut plus de ce club de déficients… »
La teneur du message provoque une vive polémique. La France Insoumise dénonce des propos « orduriers », « haineux » et « intolérables » et porte plainte pour injures publiques à caractère politique. L’affaire prend rapidement une tournure judiciaire et médiatique, l’affaire étant relayée par la presse et abondamment commentée sur les réseaux.
Le procès et les lignes de front juridiques
Le procès d’Enthoven s’ouvre à la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris, spécialisée dans les délits de presse et les atteintes à la liberté d’expression. L’audience, très suivie, oppose des arguments centrés sur la frontière entre critique politique et injure.
Me Richard Malka, avocat de Raphaël Enthoven, adopte une stratégie offensive. « Un des enjeux, c’est de savoir si, aujourd’hui en France, on peut encore librement critiquer un parti politique », a-t-il déclaré en marge de l’ouverture de l’audience, et il se dit « presque heureux » de voir l’affaire devenir une tribune pour la liberté de parole. La défense indique qu’Enthoven n’entend pas retirer ses mots et les assume comme une critique philosophique et politique.
La partie civile, représentée par Me Matthieu Davy pour La France Insoumise, conteste la lecture faite par la défense. Selon elle, les termes employés ne viseraient pas une ligne de pensée mais s’adresseraient directement aux militants, constituant une insulte susceptible d’attiser la haine. Les avocats de la formation politique demandent à la justice de sanctionner ce qu’ils estiment être un débordement de la liberté d’expression par des figures publiques.
Enjeux, réactions et portée médiatique
L’audience se déroule dans un climat tendu : pour certains, il s’agit d’un « procès politique déguisé », pour d’autres d’une étape nécessaire pour rappeler les limites du droit à la libre critique lorsque celle-ci bascule vers des formules potentiellement diffamatoires ou injurieuses. Les soutiens d’Enthoven évoquent la défense d’une parole intellectuelle sans censure ; ses détracteurs parlent d’un mélange dangereux d’érudition et d’excès verbal.
Au-delà des parties, l’affaire interroge la place des réseaux sociaux dans la vie politique et publique. Un message publié en quelques clics a suffi à entraîner une procédure judiciaire, alors que les images de l’altercation du 1er mai et la réaction d’Enthoven ont été relayées en masse. La rapidité de la viralité et l’autorité supposée d’une personnalité médiatique complexifient l’appréciation juridique des propos.
Le procès met aussi en lumière la difficulté pour les juridictions de concilier protection contre les discours haineux et sauvegarde d’un espace de débat où la critique politique peut s’exprimer. La décision du tribunal, très attendue, devra trancher entre la protection d’un parti politique vis-à-vis de propos qu’il juge diffamatoires et la défense d’une liberté d’expression qui permet, parfois violemment, la contestation d’idées et de mouvements.
Dans ce dossier, trois éléments conservent une place centrale : les images de l’exfiltration de Raphaël Glucksmann le 1er mai 2024, le tweet polémique de Raphaël Enthoven reproduit dans l’acte de procédure, et la confrontation des interprétations juridiques autour de la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris. Tant la portée sociale que la portée judiciaire de l’affaire restent à mesurer au regard du jugement à venir.


